vendredi 2 juillet 2010

Sept jours au Tibet

Nous avons beaucoup de mal à nous réveiller à 5 heures du matin le samedi 22 mai pour notre départ au Tibet. Nous revenons tout juste de notre trek dans les Annapurnas et aurions bien profité d’une grasse matinée… Mais il en est autrement car pour aller au Tibet depuis le Népal, nous n’avons pas d’autre choix que de voyager avec un groupe. Ce n’est habituellement pas vraiment notre tasse de thé, mais les conditions d’entrée et de sortie de touristes au Tibet restent encore très strictes et contrôlées par les militaires chinois. La route pour rejoindre le poste frontière est assez chaotique. La « Friendship Highway » n’a de Highway que le nom! Nous passons le plus clair de la matinée sur des routes de montagne défoncées, à franchir des cols. Nous arrivons finalement au poste frontière en milieu de journée, prêts pour l’examen. En effet, le passage de la frontière est pour le moins stressant car notre guide nous répète que les militaires chinois peuvent être très pointilleux dans leur examen des sacs. Il suffirait d’une personne dans le groupe avec un autocollant Free Tibet pour que tout le groupe soit renvoyé à Kathmandou. Ou encore, cas beaucoup plus fréquent, que quelqu’un soit en possession d’un guide de voyage identifient Taïwan et le Tibet comme des territoires indépendants de la Chine, soient tous les guides de voyage occidentaux !   Big Brother is watching you… Nombreux sont ceux dans le groupe qui doivent laisser derrière eux le Lonely Planet… Nous élaborons une théorie comme quoi cela alimente le trafic des guides de voyage à Kathmandou, car le bus nous laisse à la frontière et repart à vide en direction de Kathmandou, laissant libre cours à nos accompagnateurs de revendre les guides en ville ! Le passage de la frontière chinoise se fait cependant sans encombre. La taille de notre groupe dissuade certainement les douaniers chinois, certes zélés pour les premiers d’entre nous à passer, mais qui se montrent nettement moins regardant lorsqu’ils réalisent qu’il y en a encore quarante autres à inspecter… Le contraste est saisissant entre le poste de frontière côté népalais et l’arrivée au Tibet, sur le « sol chinois ». Nous quittons un Népal où règne une semi-anarchie et où les militaires ressemblent plutôt à des agents de sécurité pour rentrer en Chine où deux militaires en tenue de quasi-apparat nous accueillent devant un gigantesque bâtiment climatisé et très moderne. La frontière physique est littéralement au milieu du pont Friendship Bridge. Lorsque nous franchissons la ligne et posons le premier pied en Chine, les militaires scrutent tous les drapeaux cousus sur les sacs à dos de routard (dont celui de Natacha) pour être sûrs qu’il n’y ait pas un drapeau tibétain.

Il est maintenant plus de 16h heure locale (14h heure népalaise) et nous n’avons toujours pas mangé !!! Nous embarquons directement dans un nouveau  bus côté chinois qui doit nous conduire jusqu’à la prochaine ville. Nous mettons plus de deux heures à parcourir les 10km de routes en lacets car tous les camions pleins de marchandises chinoises sur la route du Népal essayent de forcer le passage aux camions népalais vides allant s’approvisionner en Chine et vice-versa. Bref, cela créé un énorme embouteillage dans les montagnes et fait que nous ne mangeons pas avant 18h !! Nous reprenons ensuite le bus pour la dernière partie du trajet qui nous emmène vers Nyalam où nous passons la nuit dans une chambre à quatre que nous avons le plaisir de partager avec un couple de vieux Coréens. Ils souffrent du mal d’altitude et ne peuvent pas dormir. Malheureusement pour nous, ils discutent alors à voix haute pendant la nuit pour passer le temps, alors que nous essayons de dormir…  Cela dit, nous sommes exténués après cette journée de 14h de trajet combinées aux heures manquantes de la nuit précédente et nous arrivons tout de même à trouver le sommeil !

Après une bonne heure d’attente due à l’inertie du groupe (nous ne sommes pas sûrs que ce mode de voyage nous plaise…), nous reprenons la route le lendemain matin en direction de Lhatse. Faire partie d’un groupe de 47 personnes après 6 mois de voyage juste à deux, c’est assez dur et nous n’en revenons pas lorsque certaines personnes râlent parce qu’on a changé de place dans le bus par rapport à la veille… Au programme de la journée : encore du bus. Nous sommes à nouveau en haute altitude et passons dans la journée trois cols à 5200m, 5100m et 5300m.12A la différence des paysages verts népalais auxquels nous nous étions habitués pendant le trek, nous sommes ici dans un environnement désertique. Seuls quelques jolis petits villages tibétains disséminés le long de la route viennent rompre la monotonie de ces grands plateaux arides.4 Le point fort de la journée est censé être le point de vue sur l’Everest depuis le 2ème col. Effectivement nous l’apercevons au loin, mais il est emmitouflé dans des nuages et finalement pas plus impressionnant que les autres montagnes. Le point de vue n’est probablement pas le meilleur…3 Panorama1 Nous arrivons à Lhatse vers 19h et cette fois-ci profitons de l’inertie du groupe pour nous faire attribuer une des deux chambres doubles disponibles pour le groupe, et évitons ainsi de devoir partager notre chambre !

Nous nous réveillons le lendemain matin (lundi 24 mai) sous la pluie et entamons une route de 4h vers Shigatse (3800m d’altitude), la 2ème plus grande ville du Tibet. Nous y arrivons pour le déjeuner, et avons « quartier libre » pendant deux heures, avant la visite du monastère avec le guide. Après manger, nous partons à la recherche d’un café Internet, ce qui s’avère une véritable expérience : personne ne comprend le mot « Internet ». Après de nombreuses tentatives,  une femme nous l’écrit finalement sur un bout de papier et la 4ème ou 5ème personne à qui nous demandons nous prend par la main pour nous montrer où c’est… Ouf ! Malheureusement il est trop tard, nous avons rendez-vous pour la visite du monastère de Tishalumpo, monastère où résident les panchen-lama (frères spirituels du dalaï-lama – parfois même frères ennemis car ils ne se sont opposés à l’occupation chinoise que très tardivement, en 1989).7 Nous y voyons le plus grand Bouddha du monde (26 mètres de haut !), assez impressionnant mais le temple qui l’acceuille est un peu petit pour une si grande statue… Nous y voyons également les stupas (monuments funéraires) du 4ème au 10ème panchen-lamas (l’actuel panchen-lama est le 11ème et il y a d’ailleurs débat car ils sont deux : l’un reconnu par le dalaï-lama - et donc les Tibétains - et l’autre « imposé » par les chinois, l’officiel). Ce sont de très belles stupas au format similaire, avec trois escaliers menant à la statue représentant le panchen-lama en position de lotus et 1000 bouddhas peints sur les murs autour de la stupa.6 Il n’est malheureusement pas possible de prendre des photos de l’intérieur (à moins de payer 10€ la photo ce qui nous semble assez cher, sans parler de la vidéo qui peut monter jusqu’à 180€ par temple, bienvenue dans la Chine communiste !!!).5 En fin d’après-midi nous assistons aux chants des moines bouddhistes dans le temple de l’assemblée, qui abrite également la plus importante chapelle de tout le monastère avec une grosse statue de Bouddha, des portraits des panchen-lamas et 8 statues des fils spirituels de Buddha sur le côté. Les chants sont intéressants (quoiqu’un peu long…), mais il est surtout amusant d’observer que les petits moines (les moinillons) du fond ne chantent pas vraiment mais discutent plutôt, un peu comme à l’école. D’ailleurs le maître de classe passe à la fin pour distribuer les notes… 8

Nous partons le lendemain matin pour Gyantse, à 2 heures de route. En chemin nous nous arrêtons pour visiter un moulin à tsampa, la nourriture traditionnelle tibétaine, une farine d’orge grillée. Nous pouvons bien entendu y goûter sur place et en acheter, c’est un peu touristique mais sympa.9Panorama moulin a stampaNous arrivons à Gyantse en fin de matinée et visitons le monastère Pelkor Chode. 1112 Nous commençons par le temple de l’assemblée où des moines chantent les prières avant de manger la tsampa avec du thé au beurre de yak. Le forfait photo est moins cher aujourd’hui donc nous pouvons même prendre quelques photos à l’intérieur du temple.13 Nous découvrons dans le temple les mandalas, des représentations symboliques des palais célestes des divinités. Celles-ci sont comme des peintures au sol, faites de sable coloré et le résultat est impressionnant (un mandala nécessite le travail de 4 ou 5 moines pendant une semaine). Nous avons de la chance car nous tombons pendant un mois sacré pour les bouddhistes, ils ont donc réalisé de nombreux mandalas, qu’ils détruiront par la suite pour en faire de nouveaux. 15 Quatre chapelles latérales abritent des Bouddhas ainsi que des livres sacrés que les moines utilisent encore pour étudier : la parole de Bouddha et l’étude de la parole de Bouddha qui date du XIVème siècle (livres originaux). 14 Ensuite nous visitons le Kumbum, la stupa aux cent milles images. C’est en fait un mandala en 3D qui contient sur 8 étages 77 chapelles. La plateforme supérieure (au niveau des yeux du buddha) nous offre une très belle vue sur le monastère mais aussi sur le fort de la ville et les montagnes alentour. 16 1017Panorama en haut du Kumbum Nous enchaînons sur un déjeuner tibéto-franchouillard dans un restaurant pourtant bien tibétain : Yak Pot au Feu (pas assez cuit mais pas mauvais) et hachis Parmentier (très bon). Dans l’après-midi, nous visitons le fort de Gyantse. Nous y montons tranquillement car nous sommes quand même au-dessus de 4000m (nous passons de 4080m à 4200m).  Nous y admirons de superbes vues à 360 degrés de la vallée de Gyantse... une fois que l’orage de grêle qui a éclaté au moment où nous sommes arrivés se termine ! Sans oublier une belle séance de gym dans la Chine communiste:

Le mercredi 26 mai est le grand jour puisque nous devons arriver à Lhassa en fin de journée. Il est intéressant de se rendre compte que rejoindre Lhassa aujourd’hui n’est plus très compliqué alors que la ville fut pendant des siècles une capitale interdite, quasi-mythique. Sur la route, un premier arrêt nous emmène près d’un lac artificiel construit par les Chinois pour produire de l’énergie hydroélectrique. L’endroit offre une très belle vue panoramique, y compris sur les ruines d’un fort. 18 Panoramalac Nous nous arrêtons une deuxième fois sur un plateau désertique entouré de montagnes couvertes de neige – c’est le moment des photos « carte-postale ». 19 Panoramahautplateau Nous passons notre dernier col à 5020m devant le glacier de Karo-La, au pied d’une montagne de 7000m dont le sommet est couvert de neiges éternelles.  Nous ne nous lassons pas de traverser ces paysages grandioses… 20Panoramaglacier Nous déjeunons dans une petite ville perdue où nous mangeons dans une petite cantine de rue, puis nous continuons la route vers Lhassa. Enfin, le dernier arrêt de la journée est sur les bords du lac Yamtso-Dro, pour la dernière opportunité de photos panoramiques. Panoramalac2 2221 Notre description de la journée serait incomplète sans parler de l’arrêt attrape-touriste dans une fabrique d’encens. Cela a été organisé par le chauffeur qui repart probablement de là avec une bonne commission…  Nous arrivons enfin à Lhassa et réussissons une nouvelle fois un coup de maitre lors de l’attribution des chambres. Profitant toujours de l’inertie du groupe, nous prenons les clefs de la première chambre double disponible qui s’avère être la suite Deluxe de l’hôtel, magnifiquement décorée avec une salle de bain balnéo ! Nous apprenons que l’hôtel est l’ancienne résidence du Rampoche, le précepteur du dalaï-lama. Cela veut dire que l’actuel dalaï-lama a peut-être été dans cette même pièce qui nous sert de chambre. chambre L’hôtel est idéalement placé à deux pas du temple du Johkang, autour duquel les pèlerins tournent dans le sens des aiguilles d’une montre en récitant des prières (cela s’appelle faire un kora). 24 Le jour de notre arrivée à Lhassa correspond à une grande fête bouddhiste et il y a donc une foule de pèlerins en train de faire leur kora. D’après ce que nous avons compris de la religion bouddhiste, les actions bonnes ou mauvaises accomplies pendant la vie d’un Homme conditionnent sa réincarnation lors des prochaines vies. Or, lors des jours sacrés, les actions bonnes ou mauvaises comptent davantage. C’est pourquoi il y a tant de pèlerins en train de faire leur kora (action bonne) pour accumuler des points dans le dossier qu’ils montent petit à petit pour leur prochaine réincarnation ! Une telle démonstration de ferveur religieuse ne laisse personne indifférent. Nous sommes en particulier impressionnés par les pèlerins faisant leur kora en se prosternant à plat ventre tous les quatre pas autour du Johkang. C’est le signe d’une soumission totale, ce qui est là aussi reconnu comme une bonne action (points comptent triplesJ).

Un autre élément marquant à notre arrivée dans Lhassa est cette fois moins joyeux : il s’agit de la présence policière et militaire, une véritable force d’occupation, postée tous les 50m le long des axes principaux et patrouillant (volontairement) en sens contraire des fidèles faisant leur kora.

Le dernier jour de notre tour au Tibet, jeudi 27 Mai, est dédié à la visite de Lhassa. Notre guide avait prévu de visiter le temple du Johkang le matin, mais nous nous faisons refouler car le temple est réservé aux pèlerins le matin et aux touristes l’après-midi (cette information est disponible dans tous les guides de voyage mais notre guide ne le savait pas… quel charlot !). Nous bénéficions donc d’une matinée libre et partons nous promener dans le quartier musulman, essayant de nous frayer un passage dans le kora géant autour du Johkang. Nous rejoignons une place au pied de la mosquée, sur laquelle des négociants vendent des chenilles ou des racines au prix exorbitant de 2500 EUR le kg ! D’après ce que nous comprenons en « discutant » avec l’un de ces vendeurs (qui ne parlent pas l’anglais), ce serait des racines utilisées comme remède traditionnel pour les maladies du cœur…23 Nous nous perdons ensuite dans le dédale de ruelles du Johkang et déjeunons dans un micro restaurant de rue pour la modique somme de 1.3 EUR pour 2 plats, belle performance ! (le tout sans être malades). Nous retrouvons le groupe en début d’après-midi pour la visite du Potala, l’autre monument incontournable de la ville. La visite se fait au pas de course car les groupes ne peuvent rester plus d’une heure dans l’enceinte, sous peine de voir le guide interdit d’entrée les jours suivants. Le Potala est la résidence des dalaï-lamas et le siège du gouvernement. C’est d’ici que l’actuel dalaï-lama a fui lors de l’invasion chinoise en 1959. 25 L’ensemble des bâtiments comprend plus de 1000 salles au total, chacune d’entre elle ayant une décoration extrêmement riche. Bien entendu nous ne pouvons pas faire les 1000 salles en 1 heure, mais l’aperçu offert aux touristes donne déjà le tournis ! Nous y admirons entre autres les tombeaux en or des dalaï-lamas, la richesse des peintures murales qui décorent chacune des salles et des mandalas en 3D en or massif. De l’extérieur, nous avons de superbes vues sur Lhassa qui baigne dans l’atmosphère des fumées d’encens. Panoramalhasa Nous continuons ensuite avec la visite du Johkang, dont le point fort est le Jowo, une statue en or de Bouddha matreya (Bouddha futur – à l’opposé du Bouddha présent ou passé). Enormément de pèlerins se bousculent pour apercevoir le Jowo et lui faire des offrandes – nous nous contentons de l’apercevoir de loin, évitant ainsi la cohue. Le Johkang, qui date du 6ème siècle et est un haut lieu du bouddhisme tibétain, fut transformé en porcherie pendant la révolution culturelle chinoise. Pas de commentaire… 26 27Nous terminons notre tour tibétain un peu plus tôt que prévu puisque notre train pour Shanghai part le lendemain (nous aurions normalement du visiter d’autres monastères autour de Lhassa le lendemain). Pour notre dernier repas au Tibet nous optons pour un barbecue coréen. Au menu : yak beef et légumes frits. Un régal !

Pour faire le bilan de ces sept jours au Tibet, nous aurions certes préféré découvrir cette région de façon autonome, mais ne regrettons pas d’avoir fait l’effort de « subir » un groupe pendant une semaine pour avoir la chance d’admirer des paysages que, même de nos jours, peu de gens ont la chance de voir. C’était aussi l’occasion pour nous de rencontrer la ferveur et la piété des tibétains, particulièrement fortes pendant le mois sacré de notre visite. Au fur et à mesure de ces sept jours, nous avons appris l’histoire du Tibet et particulièrement la partie plus récente depuis l’invasion par la Chine, qui n’a provoqué pratiquement aucune réaction au niveau international. Il est indéniable que l’occupation chinoise a permis à ce qui était un pays fermé sur lui-même et sous-développé de rattraper une partie de son retard économique (le contraste est saisissant avec son voisin le Népal). Cependant, la sinisation de la région bat son plein grâce à de nombreux colons chinois encouragés à venir s’installer ici dans le but non-officiel de diluer la culture tibétaine au sein même du Tibet, marginalisant au passage la langue tibétaine au profit du mandarin. Nous ne savons pas ce que le futur apportera et la Chine ne semble pas prête à quitter les lieux (apparemment de nombreux minerais auraient été découverts en construisant la ligne de train entre Lhassa et Pékin), mais espérons qu’il deviendra de plus en plus facile aux touristes de visiter cette belle région et qu’il sera encore possible longtemps d’y rencontrer la culture tibétaine multi-millénaire.